Le député, défenseur des institutions
Je voudrais dire ici quelques mots sur une sexagénaire pas comme les autres.
65 ans. La Constitution de la Ve République vient de souffler ses 65 bougies. Comme l’a rappelé le président de la République – son premier gardien -, elle est devenue la plus stable et la plus durable de toute notre histoire. La plus durable par sa longévité comme par sa solidité, ce qui lui a permis de traverser bien des crises et de s’adapter aux évolutions de notre société, par exemple en matière d’environnement.
Le secret de cette stabilité se trouve dans l'esprit même du texte de 1958 voulu par le général de Gaulle et par Michel Debré.
La Constitution telle qu’ils l’ont imaginée et telle qu’elle existe aujourd’hui réussit à allier les principes d’un régime parlementaire avec la force de gouverner d’un exécutif qui a les moyens d’agir, de décider, d’arbitrer.
Elle a pu créer sur des bases sûres un régime qui, comme l’a souligné Emmanuel Macron début octobre devant les membres du Conseil constitutionnel, « combine la liberté et l’autorité, l’ordre et le pluralisme, la démocratie et l’unité dans un mélange heureux, français, républicain ».
Elle est le résultat d’une très longue histoire institutionnelle deux fois séculaire, qui a fait connaître à la France deux révolutions (1789 et 1848), deux empires, deux monarchies et quatre Républiques. Le chemin fut long et tumultueux, mais depuis 1958 nous bénéficions d’une loi fondamentale qui a démontré au fil du temps sa force, sa résilience, ses capacités d’adaptation.
Pour moi, cet héritage gaullien est un trésor national vivant, qu’il faut préserver à tout prix. En tant que député, je suis très sensible à cet héritage et à l’obligation faite aux élus de la Nation de respecter et de protéger la Constitution même si cette mission n’est pas inscrite dans le marbre de la loi.
Certes, les prérogatives des députés et des sénateurs ont été réduites en 1958 par rapport à la IVe République, régime d’assemblée qui a été emporté par son impuissance et son instabilité. C’est ce qu’on appelle le « parlementarisme rationalisé ». Le président de la République peut dissoudre l’Assemblée Nationale, faire adopter certaines lois par référendum et donc par appel direct au peuple, et il n’est plus élu par les deux chambres (comme sous la Troisième et la Quatrième). Le gouvernement maîtrise l’ordre du jour du Parlement et peut utiliser l’arme du 49.3 en engageant sa responsabilité.
Certains députés peuvent regretter cette rationalisation voulue et mise en oeuvre par le Général et ses successeurs, ils peuvent clamer que c’était mieux avant et en appeler à l’avènement d’une 6e République plus ou moins fantasmée. Je crois que ce n’était pas mieux avant, bien au contraire, et que la remise en question de notre Constitution ne résoudrait aucun des problèmes de notre pays. Je crois qu’il est aussi dangereux que présomptueux de vouloir changer de régime. Les apprentis sorciers qui prônent à corps et à cri la fin de la République actuelle feraient peser, s’ils étaient écoutés et suivis, un grand risque sur la sécurité juridique et sur le bon fonctionnement de nos institutions.
Encore une fois, il me semble que l’une des missions des élus nationaux consiste à veiller au maintien de la loi fondamentale de la Nation. Être respectueux de la Constitution, c’est aussi, bien souvent, être respectueux à la fois des autres élus qui siègent dans l’hémicycle et des règles et des usages qui président à son fonctionnement. Et aussi, et surtout, être respectueux des électeurs !
Peut-être que le fait d’être avocat me donne une sensibilité particulière envers le respect de la règle de droit, et en premier lieu envers la première des règles de droit français, justement le texte de la Constitution. Je pense que ce dernier est le pilier de notre Etat de droit. Le remettre en cause reviendrait à fragiliser tout l’édifice démocratique de notre pays.
J’ai été frappé par l’importance des institutions quand j’ai été élu à l’Assemblée en 2022. Je m’emploie à les défendre. Notamment en parlant de la Constitution dans mes réunions publiques, en la faisant connaître à nos jeunes dans les écoles de ma circonscription, et en la faisant aimer pour ce qu’elle est : une boussole et un pôle de stabilité dans des temps difficiles et incertains.
Et je suis honoré de siéger comme juge suppléant à la Cour de Justice de la République, seule juridiction compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Elle a été instaurée par une réforme constitutionnelle en 1993. Nous allons d’ailleurs bientôt juger le Garde des Sceaux pour certains faits qui lui sont reprochés.
Il ne s’agit évidemment pas d’aduler la Constitution. La Ve République n’est pas à l’abri de la critique. La Constitution est amendable. Elle a d’ailleurs été révisée de nombreuses fois. Il serait aussi absurde de l’idolâtrer que de la conspuer. Mais voilà : dans toute notre histoire institutionnelle et politique, on n’a jamais trouvé mieux ! Alors « respect ». Et prenons soin de cet héritage au lieu de le dilapider ou de le troquer contre la fausse monnaie d’une chimérique 6e République.
Cette juvénile sexagénaire qu’est la Constitution incarne, depuis qu’elle a été adoptée par les Français à une écrasante majorité (suite au référendum du 28 septembre 1958) une certaine idée de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Elle est le creuset et le reflet de ces valeurs consubstantielles à notre pays. Elle incarne également une certaine idée de l’action publique et de l’équilibre des pouvoirs.
Pour toutes ces raisons, je suis convaincu que c’est aussi la mission et l’honneur des parlementaires de la respecter et de la faire respecter, de la connaître et de la faire connaître, de l’aimer (avec ses forces et ses limites) et de la faire aimer. Puissent-ils en être les avocats clairvoyants plutôt que les procureurs remuants !
Longue vie à cette sexagénaire si expérimentée et si robuste, garante depuis soixante-cinq ans de l’Etat de droit.